Historique de quinze ans de diversification réussie – Kinésithérapie Scientifique N°331

  • André Petit

Ce dossier s’intéresse à un exercice particulier de la kinésithérapie : l’animation d’une Ecole du Dos indépendante, par un kinésithérapeute libéral.

La description sommaire du fonctionnement actuel de cette Ecole du Dos est le résultat de dix ans d’évolution et ne prétend énoncer aucune vérité.

Une telle réalisation est certainement améliorable. Elle peut être adaptée aux aptitudes et certitudes de chacun qui souhaiterait diversifier en restant thérapeute.

Il s’agit là d’une activité classée dans la prévention secondaire. Elle s’inscrit dans une démarche personnelle de prévention multi catégorielle puisque nous nous intéressons en même temps à la prévention primaire, à travers la création d’un « centre bébés nageurs », et tertiaire auprès du personnel hospitalier et du handicap lourd au sein de l’entreprise industrielle France Reval.

Coactionnaires de cliniques chirurgicales à La Rochelle, mes associés kinésithérapeutes et moi-même pensions diversification dès 1975.

La première idée, généreuse, aménageait les logements de handicapés afin de rendre tout accessible à un fauteuil roulant.

Au fur et à mesure des réalisations et des échecs, six associés (trois kinésithérapeutes, un dentiste, un médecin, un commercial de Sup de Co) créaient une association puis une société anonyme : France Reval, qui fabriquait le « Sohier Système ».

Nous courrions alors les foires et expositions professionnelles en France, Allemagne et Belgique pour animer nos stands et vendre nos productions qui évoluaient au fil des années. Le marché de l’assistance aux handicapés par hydrothérapie, puis matériel de levage, de lavage et de transfert, nous a conduits d’hôpitaux en foyers logements et en services très spécialisés de grands brûlés par exemple, domaine où nous sommes devenus leader français.

La prévention des lombalgies du personnel hospitalier a concerné nos bureaux d’étude depuis vingt ans et a fait naître plusieurs générations de matériels motorisés de portage, de levage et de transfert, destinés aux patients post-opératoires, traumatisés, handicapés et personnes âgées.

C’est sur ce thème du mariage de l’industrie et de la médecine que j’ai défendu mon mémoire de DSU de rééducation à l’université de Paris – Val de Marne en 1983 en présentant un chariot de transfert et de verticalisation radiotransparent de ma conception.

Naissait dans cette université une originalité en matière de prévention en 1981 : l’Ecole du Dos que le Professeur Claude Hamonet nous soumettait avec enthousiasme, composée d’une équipe pluridisciplinaire selon un modèle scandinave.

En 1981, j’ai tenté de motiver les trois médecins de rééducation de ma campagne, sans succès, et j’ai donc décidé de créer seul mon Ecole du Dos de kinésithérapeute, dans un local mis à disposition par une équipe d’amis radiologues.

Quatre-vingts mètres carrés bruts de béton devenaient en 1982 une Ecole du Dos volontairement cossue et accueillante que je décidais résolument mobilisatrice autour des ballons de Klein-Vogelbach, en tournant le dos aux concepts hésitants et souvent statiques habituels.

Une annonce dans le journal Sud-Ouest et une lettre à tous mes patients traités en cinq ans d’exercice libéral de la kinésithérapie furent les seules démarches de type publicitaire.

Seule une plaque très modeste indiquait « Ecole du Dos », et espérait suffire à ne pas importuner la profession.

Un nouvel exercice libéral à mi-temps de la kinésithérapie naissait pour moi et visait les patients en bonne santé avec l’espoir d’une prévention primaire, dans une sorte de cabinet secondaire avec sa taxe professionnelle et sa couverture d’assurance traditionnelle pour kinésithérapeute.

Le protocole prévoyait quatre puis six séances :

– d’apprentissage de la mobilité vertébrale physiologique ;

– l’exposé des règles ordinaires de portage, raisonnées par le vérin hydropneumatique abdomino-thoracique.

Suivaient les exercices à faire ensemble:

  • une prise de conscience des différences morphologiques et des limites des deux types extrêmes de hanche ;
  • l’entraînement physique insistait sur l’abaissement vertébral par les hanches selon un axe trans-coxo-fémoral (R. Perrin) ;
  • ischio-jambiers, muscles érecteurs et extenseurs du rachis devaient s’étirer et se tonifier ;
  • souplesse et force musculaire étaient valorisées ;
  • la nécessaire rigidification des étages vertébraux était expliquée selon R. Sohier ;
  • la notion de gymnastique articulaire de kinésithérapeute différenciait déjà l’Ecole du Dos de toute autre salle d’éducation physique ;
  • les trois courbures vertébrales s’apprenaient comme physiologiques et l’équilibre des trois flèches incontournables ;
  • l’incorrigible ne se corrigeait pas et les « compensations » devenaient adaptations et étaient valorisées (la méthode Feldenkreis par Françoise Figuière et Yan Joly m’avait impressionné et les millimètres de mouvement qui s’additionnaient devaient permettre, après l’analyse très consciente, une facilitation à une mobilité totale harmonieuse et économique).

Il fallait ensuite rentrer chez soi et se débrouiller seul, ainsi le prévoyait mon naïf protocole. En fait, un besoin venait d’être créé. Les groupes de quatre puis de quatorze se multiplièrent, personne ne voulait s’arrêter, les candidats au redoublement étaient aussi nombreux que l’effectif total, ou presque.

J’ai été contraint en fait, d’apprendre de mieux en mieux ce nouveau métier : kinésithérapeute d’Ecole du Dos.

Une unité de valeur en relaxation à Créteil et l’enseignement de Marc Brodin à l’Institut franco-américain et ses étonnants intervenants en programmation neuro-linguistique guidaient langage et pédagogie accessibles au plus grand nombre.

Eliane Picard, médecin musico-thérapeute et sophrologue ainsi que les théories de chromothérapie orientaient l’atmosphère.

Je découvrais quantités de troubles du rythme chez mes contemporains, les psychomotriciens m’intéressaient de plus en plus, la reprogrammation devenait « sensorimotrice ».

L’organisation motrice des trois courbures et des quatre membres orientait progressivement l’Ecole du Dos, la gymnastique devenait plus expressive et se démédicalisait apparemment, en tous cas suffisamment pour ne plus être fastidieuse.

L’Ecole du Dos entame sa douzième année d’un très remarqué succès local. Il a fallu déménager en 1987 faute de place.

Le cahier de rendez-vous a la forme d’un planning mural de six mètres sur deux. Il est géré par chaque élève qui dispose ses cartes selon son emploi du temps et le niveau de cours compatible avec son entraînement physique.

Deux cents à trois cents personnes, selon les saisons, fréquentent chaque semaine les vingt heures de cours dispensés et organisés en huit niveaux de compétences différentes.

A cette population d’adultes de quinze à quatre-vingt-deux ans, il faut ajouter les cent cinquante inscrits aux « bébés nageurs Mail14® » qui découvrent, chaque week-end, leur motricité dans la piscine de rééducation des kinésithérapeutes associés de la clinique du Mail, le plus jeune inscrit à notre « maternelle du dos » a quatre mois. Leurs mamans avaient le plus souvent fréquenté les groupes de femmes enceintes dans cette même piscine les samedis matins.

L’organisation et la gestion de tout ce monde-là sont totalement assurées par mon épouse et moi-même. Un comptable très présent nous conseille judicieusement. Il n’y a toujours pas de médecin dans notre Ecole du Dos, hormis ceux qui fréquentent assidûment les lieux pour eux-mêmes et leur famille.

Un plan de La Rochelle dans les vestiaires indique précisément tous les kinésithérapeutes libéraux de la ville en précisant bien leur nom et adresse.

Onze ans après, toujours la même modeste plaque sur la porte et toujours aucun nom. Le lieu est privé, quelques curieux et confrères en vacances s’informent, s’étonnent, demandent la liste des Ecoles du Dos en France.

Avant toute inscription, un entretien est obligatoire, le postulant est interrogé sur sa santé et invité à produire ses éventuels documents médicaux. Il expose ses espoirs et entend les limites de notre projet. Les patients à soigner qui expriment leur morosité et leurs espoirs d’assistance sont renvoyés, déçus, à leur thérapeute habituel.

Toute personne qui décrit sa volonté de « bouger » pour lutter contre les stigmates du vieillissement retient notre attention (population féminine à 80 %, moyenne d’âge quarante-trois ans).

Le passage par le cours « débutant » est obligatoire pour tous, professeurs de gymnastique compris, qui viennent à l’Ecole du Dos apprendre à construire autrement leurs cours et animations de gymnastique volontaire de quartier.

Nous sommes devenus performants à choisir rythmes et musiques qui accompagnent tout.

Nos cassettes audio construites et mixées par nous et pour nous sont renouvelées sans cesse (gros et précieux investissement).

La salle vidéo diffuse les cours régulièrement filmés et autres informations susceptibles d’intéresser « notre population » en dehors des horaires programmés.

Les séminaires successifs, les échecs, les lectures entretiennent la créativité et alimentent le contenu de ces heures où les os, les muscles, les graisses aussi se racontent.

Les ballons de Klein-Vogelbach sont devenus indispensables. Les muscles du dos mais aussi les fesses et le ventre sont très sérieusement ciblés.

A l’Ecole du Dos, les cours sont payés à la séance, moitié à l’avance, l’autre moitié le jour même.

Les quatre à huit heures d’initiation pour débutants concentrent un maximum d’informations théoriques simples et pratiques ainsi qu’un programme gymnique et postural à reproduire au quotidien pour celles et ceux dont le projet n’est pas de s’attarder ici, mais d’apprendre et comprendre les habituelles souffrances de leur mécanisme et les règles ordinaires de leur prévention en termes positifs.

Onze ans après, l’Ecole du Dos continue de fonctionner à mi-temps afin de permettre de rester thérapeute et « industriel » l’autre mi-temps, tout en encadrant avec mon épouse l’équipe d’animateurs de nos « bébés nageurs Mail14® »

Les soins de confort non remboursés, organisés dans nos locaux depuis deux ans autour du LPG system, sont réservés à notre population d’Ecole du Dos.

Le vif intérêt suscité par un film vidéo que nous avons présenté au congrès de Sohier à Bâle en mars dernier, nous conduit à organiser cette année quelques « samedis d’information » pour les confrères motivés.

France Reval va bien et nous fait espérer nettement devancer la CARPIMKO.

Ces expériences réussies de diversification incitent à entreprendre et espèrent intéresser tous les confrères libéraux qui envisagent de démédicaliser leur quotidien tout en restant praticiens avec ou sans blouse blanche.

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La rééducation prend des couleurs ! – Sud Ouest

5 Nov 1992 Ecole du Dos

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15 Juil 1995 Ecole du Dos